L’épouvantail, première mention au Concours Arts et Lettres de France édition 2012

Il était une fois, perdu au milieu d’un champ de blé, un épouvantail. Il passait toutes ses journées immobile, chassant les oiseaux sans rien faire. Il faut dire que cet épouvantail était très laid. Tout fait de paille, il avait deux boutons de gilet à la place des yeux, un chapeau troué et de vieux vêtements mités pour seuls habits. Il tenait debout grâce à deux bouts de bois cloués au sol et rongés par le temps. Il était si laid que nul oiseau ne survolait son champ. Son fermier en était très content. L’épouvantail ne pouvait le savoir car il ne sentait absolument rien. C’était juste une statue de paille édifiée par le fermier dans ses jeunes années. Un jour cependant, le fermier vit une scène qu’il n’était pas près d’oublier.

Un beau jour d’été, alors que le soleil brûlait sur les épis mordorés, une nuée de corbeaux s’abattit sur le champ de blé. Ils tournoyèrent d’abord au dessus de l’épouvantail. Puis un corbeau s’approcha et piqua un brin de paille. Puis vint un second qui lui aussi ôta un brin. Puis un troisième… et alors qu’ils étaient à présent une dizaine à le détrousser, le fermier crut voir l’épouvantail trembler. Il n’avait pas rêvé. L’épouvantail sentit soudain comme une chaude goutte d’eau sur sa botte de foin qui lui servait de tête. Il vit alors qu’il avait des yeux. Il les ouvrit et bien que les corbeaux lui fassent toujours mal, il fut saisi de plaisir devant le paysage des champs s’étendant à perte de vue. Il sentit la goutte salée et vit alors qu’il avait une bouche. Voilà que maintenant, il pensait : « J’ai donc des yeux, une bouche, et je pense même à présent. »

L’épouvantail époustouflé tourna la tête dans tous les sens pour mieux se contempler. Il avait deux bras, deux jambes, un tronc : il était presque humain en somme. Il voyait au loin le fermier assister émerveillé à sa métamorphose. Toujours immobile mais sentant le sang circuler sous les bouts de bois qui lui servaient de membres, il entendit le battement de son cœur s’accélérer. Les corbeaux étaient toujours là, tourbillonnant autour de lui mais ne l’attaquant plus. Et brusquement, l’épouvantail tout heureux se mit à bouger. Les clous étaient partis et il marchait prestement, sentant la terre sous ses pieds. Les corbeaux formaient un v au dessus de lui. Il était si content qu’il se mit à courir gaiement. Il courut si vite, si vite qu’il se détacha petit à petit du sol. Des ailes avaient poussé sur ses bras, son corps s’était rétréci et assombri : voilà qu’il était devenu corbeau. Il volait à présent avec ses compères et depuis ce jour, il ne cesse de donner vie à d’autres épouvantails esseulés.

Espérance, paru dans le recueil Horizons multiples édité par la Bibliothèque d’Ariane en 2013

De l’autre côté de la mer, un monde meilleur.
Ici, un lieu qu’elle voudrait avoir fui.
De l’autre côté de la mer; d’elle, on a peur,
Ici, elle pleure toutes les nuits .

De l’autre côté de la mer, elle s ‘est faite un nid.
Ici, elle peut y laisser sa vie.
De l’autre côté de la mer, elle a vécu la liberté,
Ici, de murs elle est cernée.

De l’autre côté de la mer, elle a laissé ses amis.
Ici, si ce n’est la famille, que nenni.
De l’autre côté de la mer, ils espèrent,
Ici, elle persévère.

Espérance, je voudrais tant te voir,
De mon côté de la mer.
Est-il seulement possible de croire
que tu reviendras sur cette terre ?

Espérance,
te souviens-tu de notre dernière danse ?
Espérance,
qu’en est-il de nos confidences ?

Cruelle grande bleue,
Déchirant les continents,
Cruelle grande bleue,
Piétinant les sentiments,

Cruelle grande bleue,
Tu m’as pris une sœur, une amie,
Cruelle grande bleue,
Si tu n’étais point, nous serions du même pays.

Lointaines balancelles, publié dans Variétés aux Éditions des Bords du Lot, 2013

Doux mouvement utérin
Que ce va-et-vient enfantin,

Lointaines balancelles,
Que ne puis-je vous mettre en selle
Pour raviver en moi la flamme feue
De ces souvenirs heureux.

Mon regard embué de mélancolie,
Mon cœur chagriné de vous voir ainsi
-Vides de joies, de mois puérils-,
Balancelles juvéniles,
Quelle tristesse, quel malheur
De ne pouvoir vous faire honneur.

Mes yeux apaisés, car oui, j’ai pleuré,
Avisent au loin deux silhouettes familières.
Une fillette serrant sa mère de sa main potelée,
Et soudain, chères balancelles, mon âme s’éclaire.

Me voilà redevenue enfant, l’espace d’un instant.
Chevauchant les airs et la tête en arrière,
Croisant les nuages et mon camarade aux éclats riant,
Douces balancelles, voici que mon corps plane au-dessus de la terre.