Attentive marée de lettres et de mots
Coulée veloutée sur ce gracieux papier
Riant de tant d’ingéniosité égayée
Osant à peine conter les effets zozos
Se liant à la langue de Molière
Tuant le temps à coup de dictionnaire
Immaculée blancheur de cette feuille nouvelle
Croulant d’envie d’encre noire sur ses grains feutrés
Haïssant le néant, elle trépigne, impatiente, se fait belle,
Et t’attend au bout de ton dur labeur : la fin.
Auteur/autrice : Flavie
Tautogramme
Terrible terreur : tautologie tentaculaire ternissant ta terne toile. Titans tournoyant tout terreux, Tâches transhumantes trouant ton triste terrier, tarissant ton trésor tel ton talisman. Tu te transformes tout ténébreux. Thérèse toque, tu te tais. Thérèse tape, tu te tournes, tire ta traînée. Transparaît Thérèse. Tel Thésée titubant, tu toises Thérèse. Timide, timorée, Thérèse tremble. Ta télé tonne à travers ton triplex, Tu transmets à Thérèse toutes tes tares. Tétanisée, et toi têtu, tout turbulent, trace de tes tubercules ton torrent tonifié. Tantale tonitruant, tu tailles ton ticket tout tordu. Tourte aux topinambours, tarte tatin, tasse de thé, ton toi trapu, tu traques ta trompette.
Traduction homophonique
Adrien taquine Tommy.
« Are you talking to me ? »
(Taxi Driver)
Chicago
Mistral nébuleux
Zéphir chargé
Tramontane brumeuse
Alizés obscurs
Vent couvert (Vancouver)
Pigeons baigneurs
Un jour d’été,
Sur la chaussée,
Pigeons en pagaille
Tranquillement se bataillent
Pour cette mare inespérée
Puis leurs plumes ébouriffées,
Et leur soif apaisée,
Replongent se faire une beauté.
Si Gavroche était une fille
Si Gavroche était une fille,
Voici à quoi elle ressemblerait.
Un.e titi.te parisienne au regard éveillé,
Au visage rusé, au chapeau dépecé,
Puis aux pieds déchaussés.
Petite fille dégourdie
Que l’on aimerait aussi.
Elle aussi serait tout un poème
Et dans aucun pays non plus, il n’y aurait de même.
Elle aussi aurait dansé et chanté :
« Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire.
Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau »
Elle aussi aurait été révolutionnaire.
Elle aussi aurait tiré sur les nantis,
Mais de ses yeux revolver.
Ma ville
Une larme, puis un sourire esquissé,
Paris, que tu m’avais manqué.
Et ton ciel recèle dans cette flaque de narcisse
Des histoires anciennes qui ressurgissent.
Ville bien-aimée, détestée
Même trahie, puis retrouvée,
Dont chaque avenue, passage et ruelle
Cachent ô combien de secrets éternels.
Ces pas sur tes pavés dans mes plats souliers,
Sentant te dérober quand je m’approchais un peu trop près
D’un recoin peu familier, et y voyais tantôt un je t’aime,
Écrit à la hâte par quelque Roméo anonyme,
Tantôt une statue ou une peinture sublime.
L’homme à la sacoche
Une mallette à la main, d’un pas décidé, un homme marche. Il a l’allure d’un homme qui sait où il va. Sa décision a été mûrement réfléchie. Il l’aperçoit au loin, au fond du passage, le crâne dégarni, portant une chemise blanche. Comme sur la photo. Quel meilleur endroit que ce passage presque désert en pleine journée pour entreprendre son projet! Un seul client, parfait ! L’affaire sera vite menée. Son regard est fixé sur l’objet de sa visite. Des plantes des vitrines alentours s’évaporent un parfum trop lourd qui commence à l’étourdir. Lui, un homme de son rang, tomber pour une plante! Le souffle court, il se ressaisit, il l’avait déjà fait et tout s’était bien passé. Pourquoi alors un soupçon d’inquiétude l’envahissait-il? Et si jamais il s’était trompé ? D’un revers de la main, il chassa ses mauvaises pensées. Il arriva en face de son homme, crispa chacun des doigts de la main, la lui serra avec vigueur et lui dit: “Bonjour, je viens pour acheter. Votre café est-il toujours à vendre?”
L’épouvantail, première mention au Concours Arts et Lettres de France édition 2012
Il était une fois, perdu au milieu d’un champ de blé, un épouvantail. Il passait toutes ses journées immobile, chassant les oiseaux sans rien faire. Il faut dire que cet épouvantail était très laid. Tout fait de paille, il avait deux boutons de gilet à la place des yeux, un chapeau troué et de vieux vêtements mités pour seuls habits. Il tenait debout grâce à deux bouts de bois cloués au sol et rongés par le temps. Il était si laid que nul oiseau ne survolait son champ. Son fermier en était très content. L’épouvantail ne pouvait le savoir car il ne sentait absolument rien. C’était juste une statue de paille édifiée par le fermier dans ses jeunes années. Un jour cependant, le fermier vit une scène qu’il n’était pas près d’oublier.
Un beau jour d’été, alors que le soleil brûlait sur les épis mordorés, une nuée de corbeaux s’abattit sur le champ de blé. Ils tournoyèrent d’abord au dessus de l’épouvantail. Puis un corbeau s’approcha et piqua un brin de paille. Puis vint un second qui lui aussi ôta un brin. Puis un troisième… et alors qu’ils étaient à présent une dizaine à le détrousser, le fermier crut voir l’épouvantail trembler. Il n’avait pas rêvé. L’épouvantail sentit soudain comme une chaude goutte d’eau sur sa botte de foin qui lui servait de tête. Il vit alors qu’il avait des yeux. Il les ouvrit et bien que les corbeaux lui fassent toujours mal, il fut saisi de plaisir devant le paysage des champs s’étendant à perte de vue. Il sentit la goutte salée et vit alors qu’il avait une bouche. Voilà que maintenant, il pensait : « J’ai donc des yeux, une bouche, et je pense même à présent. »
L’épouvantail époustouflé tourna la tête dans tous les sens pour mieux se contempler. Il avait deux bras, deux jambes, un tronc : il était presque humain en somme. Il voyait au loin le fermier assister émerveillé à sa métamorphose. Toujours immobile mais sentant le sang circuler sous les bouts de bois qui lui servaient de membres, il entendit le battement de son cœur s’accélérer. Les corbeaux étaient toujours là, tourbillonnant autour de lui mais ne l’attaquant plus. Et brusquement, l’épouvantail tout heureux se mit à bouger. Les clous étaient partis et il marchait prestement, sentant la terre sous ses pieds. Les corbeaux formaient un v au dessus de lui. Il était si content qu’il se mit à courir gaiement. Il courut si vite, si vite qu’il se détacha petit à petit du sol. Des ailes avaient poussé sur ses bras, son corps s’était rétréci et assombri : voilà qu’il était devenu corbeau. Il volait à présent avec ses compères et depuis ce jour, il ne cesse de donner vie à d’autres épouvantails esseulés.
Espérance, paru dans le recueil Horizons multiples édité par la Bibliothèque d’Ariane en 2013
De l’autre côté de la mer, un monde meilleur.
Ici, un lieu qu’elle voudrait avoir fui.
De l’autre côté de la mer; d’elle, on a peur,
Ici, elle pleure toutes les nuits .
De l’autre côté de la mer, elle s ‘est faite un nid.
Ici, elle peut y laisser sa vie.
De l’autre côté de la mer, elle a vécu la liberté,
Ici, de murs elle est cernée.
De l’autre côté de la mer, elle a laissé ses amis.
Ici, si ce n’est la famille, que nenni.
De l’autre côté de la mer, ils espèrent,
Ici, elle persévère.
Espérance, je voudrais tant te voir,
De mon côté de la mer.
Est-il seulement possible de croire
que tu reviendras sur cette terre ?
Espérance,
te souviens-tu de notre dernière danse ?
Espérance,
qu’en est-il de nos confidences ?
Cruelle grande bleue,
Déchirant les continents,
Cruelle grande bleue,
Piétinant les sentiments,
Cruelle grande bleue,
Tu m’as pris une sœur, une amie,
Cruelle grande bleue,
Si tu n’étais point, nous serions du même pays.